Georg Lukács, Franz Mehring (1933)
Si l’on admet avec Eric Hobsbawm (L’Âge des extrêmes, Histoire du court xxème Siècle) que la Première Guerre mondiale a marqué « l’effondrement de la civilisation (occidentale) du xixème siècle», alors Franz Mehring est assurément un homme du xixème Siècle. Quand on contemple son portrait avec sa longue barbe blanche, on pense au Moïse de Michel-Ange.
De même que Moïse n’est jamais entré en Terre Promise, de même Franz Mehring est décédé quelques jours après avoir contribué à la fondation du KPD, sans donc connaître la création du mouvement communiste dans la iiième internationale, son resserrement autour des principes de marxisme-léninisme, sa bolchevisation.
Itinéraire étrange que celui de cet homme, né au temps des révolutions bourgeoises. Proche dans sa prime jeunesse d’August Bebel et Wilhelm Liebknecht, il travaille dans la presse démocratique bourgeoise, critique même le mouvement ouvrier avant, à sa maturité, de rejoindre le Parti socialdémocrate lorsque devient patente la trahison par la bourgeoisie de ses idéaux démocratiques révolutionnaires.
Son rejet du soutien du SPD à la guerre impérialiste et son instinct révolutionnaire l’amènent à rejoindre l’aile pacifiste, la Ligue Spartakiste, et à fonder le KPD. Mais son adhésion au marxisme, l’influence persistante de Lassalle restent problématiques. À cela s’ajoute la conjoncture politique de 1933, ou le KPD doit évincer un groupe de dirigeants (Paul Levi, Paul Fröhlich, Heinrich Brandler, August Thalheimer), qui tous se revendiquent de l’héritage de Rosa Luxemburg et de Franz Mehring.
C’est en quelque sorte à une statue du commandeur que Lukács s’attaque ici, s’efforçant toujours de comprendre, d’expliquer dans un esprit de bienveillance, de montrer sans manichéisme les aspects positifs et négatifs, mais avec une fermeté inflexible sur les principes, car il s’agit bien d’extirper du mouvement communiste les scories idéologiques de la socialdémocratie.
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